Une étincelle de vie de Jodi Picoult

Jodi Picoult, encore une auteure que je lis d’office depuis quelques années. En 2018, « Mille petits riens » avait été un très gros coup de cœur, un roman auquel je pense encore aujourd’hui. Cette année malheureusement l’alchimie n’a pas fonctionné. J’ai aimé le sujet, qui a le mérite d’être abordé, mais je suis restée très extérieure aux personnages. J’étais stressée à leurs cotés mais je ne me suis pas identifiée.

Mississippi, le Sud profond des États-Unis et les fervents croyants, limite fanatique, empêchent, par tous les moyens possibles, d’accéder aux plannings familiaux ou aux très rares cliniques où l’avortement est pratiqué. Tout va se jouer dans la dernière clinique de l’état. (Information véridique.)
Une prise d’otage a lieu.
Un homme a pénétré dans l’établissement, il a blessé ou tué plusieurs personnes. Je ne te spolie rien. C’est le premier chapitre. Jodi Picoult choisit de remonter le temps.

Heure par heure tu vas lire ce que ressentent, ce que pensent ces personnages hétéroclites : Olive, Joy, Georges, Hugh, Bex, Wren, Izzy, Janine, Louie, le docteur Ward, Rachel, Vonita.
Le seul point commun entre eux : ils se trouvent tous dans l’établissement ou à l’extérieur comme négociateur ou autre.
Je ne vais pas te parler des personnages, c’est l’essence même du livre. Je vais juste te dire que par eux, comme sait si bien le faire Jodi Picoult, elle va te parler de suicide, d’homosexualités, de trisomie, du viol, du cancer, mais aussi de l’inceste, nombre de sujets tabous, et bien sûr sa marque de fabrique si je peux dire, les secrets de famille, rien n’est toujours comme on le pense avec elle. Elle arrive toujours à te surprendre par le biais d’un ou de plusieurs de ses protagonistes qui n’ont à priori rien à voir ensemble.

À côté de cette prise d’otage, on suit une jeune fille menottée à son lit d’hôpital. Elle est accusée par le procureur d’avoir intenté à la vie en ayant subi un avortement illégal. Il faut savoir qu’aux États-Unis tous les états n’ont pas la même position sur le droit à l’avortement. Les différences sont énormes, affligeantes.
Si au départ on ne comprend pas ce qui relie le sud de l’état avec la clinique où a lieu la prise d’otage et Beth, 17 ans dans le Nord, à 3 h en voiture de là où le drame se joue, les deux lieux ont un point commun.
On ressent toute la souffrance des deux endroits, mais c’est bien plus que cela. Tu ressens la souffrance et l’injustice aussi. Je ne t’en dévoile pas plus sur ce personnage, j’ai peur de te spolier.
Beth est défendue par une avocate commise d’office, Mandy, africaine-américaine.

Jodi Picoult va te faire réfléchir comme pour chacun de ses romans. Tous les personnages ont un point de vue différent sur la question de l’IVG.
Un débat éthique et moral, encore trop souvent tabou dans notre société.
Jamais l’auteure ne laisse transparaître ce qu’elle pense. On est tour à tour des deux côtés lisant les arguments des uns et des autres.
Leur enfance, leur vie actuelle, leur cheminement, leurs erreurs et les regrets.
Tu lis comment un tout petit moment peut changer une vie à jamais.
Ce qui ressemble à de la violence sous un angle passe sous un autre pour de la compassion. Je sais que tu ne vois pas où je veux en venir, il faut lire le livre pour cela.
Elle écrit surtout un roman sur les choix de vie, les choix des femmes, leurs droits.
Un roman où ce sont les hommes qui sont les protagonistes principaux, ils sont pour la majorité d’entre eux des pères célibataires qui aiment leurs filles plus que tout.
Un choix judicieux pour ce thème qui est, d’apparence, féminin.

Un autre parti pris de Jodi Picoult c’est de mélanger ses personnages de couleurs. Rappelle-toi que tu es dans le sud profond des USA, un état encore très raciste.
Je pense qu’elle tente par là à démontrer que tous, nous sommes égaux devant la douleur. Blancs ou noirs, peu importe la couleur, dans la tragédie cela importe peu, le racisme n’est plus ce à quoi tu penses en premier.
Il n’y a pas de monstre de chaque côté et l’auteure explore soigneusement pourquoi chaque individu croit ce qu’il croit.
Je ne dis pas que j’ai compris et adhéré aux décisions ou aux paroles de tous les personnages, mais elle a le mérite de montrer que juger quelqu’un directement pour son apparence, son choix de vie ou sa décision n’a aucun sens.
Tu ne peux pas juger autrui.
Tenter de comprendre oui.

Jodi Picoult adopte une approche très équilibrée, mettant en valeur ses capacités de recherche impressionnantes sur ce sujet incendiaire des droits en matière de procréation.

Elle présente la science, les normes juridiques, religieuses, culturelles, les différences entre les États, les angles nationaux et même internationaux, sans parler de la question de la race.

Elle écrit un roman qui permettra les discussions en club de lecture ou entre parents et enfants.
Les remarques et pistes soulevées sont intéressantes.
Elle rend aussi compte de l’intensité des sentiments que les gens ont sur le sujet.
Des avis parfois très tranchés. Trop peut-être ?
Elle révèle aussi la désinformation véhiculée par certaines associations.

Un roman avec beaucoup de tension et de suspens, d’inattendu.
Un livre que j’ai trouvé à la fois saisissant et opportun, étant donné ce qui se passe dans le monde aujourd’hui. Éveiller les consciences c’est toujours important pour moi et ce livre le permet.

De nombreux points de vue sont couverts comme je te le raconte, de même que les lois qui font du Mississippi l’État le plus restrictif en matière d’avortement.
Les dialogues et les monologues internes des personnages semblent quelque peu didactiques, même si cela était peut-être inévitable.
De nombreuses conversations sont soit présentes pour éduquer le lecteur sur les réalités, les lois et les mythes de l’avortement, c’est honnêtement l’impression que j’ai eue. J’ai appris certaines choses, le côté mythologique m’a intéressé, l’IVG dans le passé n’était pas aussi tabou que maintenant. On ferait peut-être bien de retourner dans l’antiquité.

Avec la chronologie inhabituelle du roman en commençant à la fin, tu sais immédiatement une partie de ce qu’il s’est joué 11 h plus tôt, mais tu es très loin de tout savoir.
Petit à petit ; heure par heure ; Jodi Picoult lève le voile sur ces personnages.
Des faits inattendus, d’autres, durs, à lire émotionnellement, des secrets, des tabous, des positions pour ou contre, et même en étant positionné est-ce que l’on ne peut pas changer d’avis à un moment de notre vie ?

Un roman avant tout sur l’amour paternel et j’ai trouvé cela magnifique d’associer ces deux thèmes pourtant en totale opposition si je peux m’exprimer comme cela

En bref :

Un thème intéressant, un sujet encore trop souvent tabou.
Comme elle sait si bien le faire, Jodi Picoult ne se positionne pas durant la lecture, mais nous fait lire différents points de vue.
Comme elle sait aussi si bien le faire on ne peut deviner le final même si, ici avec le compte à rebours ; tu lis en remontant le temps, tu sais déjà deux ou trois choses.
Ce n’est pas le meilleur de l’auteur pour moi qui en suis fan.
J’aurais aimé en apprendre davantage pour certains des protagonistes. Comment ils allaient vivre l’après ? Je reste avec quelques questions sur certains d’entre eux.

J’ai eu le cœur serré et j’ai craint de lire heure par heure ce qui avait pu mener cet homme à poser ce geste. La tension monte au fil des heures et des chapitres.
Je me suis imaginée dans la peau de chacun des personnages, comment vit-on une telle situation ?
Qu’est-ce que je ferais moi si j’étais prise au milieu d’une prise d’otage ?

Un livre malgré tout essentiel pour remettre en lumière les droits de la femme.

Jodi Picoult donne encore d’autres informations dans ses remerciements ainsi que des chiffres exacts et qui font vraiment froid dans le dos.
Elle éveille les consciences avec ce roman peut-être fera-t-elle jaillir l’étincelle ?

✩ Une étincelle de vie ⟷ Jody Picoult ⟷ 416 pages ⟷ Édition Actes Sud, le 1er mai 201✩