Une forêt où rôde un étrangleur de bêtes.
Trois maisons isolées en lisière de forêt et l’Eaulne pour frontière… »La capitaine Mathilde Sénéchal n’aurait jamais imaginé retourner sur les lieux de son enfance, un petit village non loin de Dieppe. Mais quand Lazaret, son ancien chef de groupe, lui fait parvenir une lettre sibylline, elle comprend qu’elle va devoir rouvrir une enquête vieille de trente ans. Qu’elle le veuille ou non, le passé ne meurt jamais. Il a même des odeurs, ces odeurs qu’elle sait identifier comme personne et qui sont aussi son talon d’Achille. Il est temps pour elle de sonder sa mémoire défaillante et d’affronter la vérité.
Son précédent roman « Comme de longs échos » (tu peux voir la chronique ici) portait le titre d’un célèbre sonnait de Baudelaire, sonnet que l’on retrouve dans « correspondances » du célèbre recueil « Les Fleurs du mal »
ce titre-ci se trouve lui aussi dans ce célèbre poème :
:
« Correspondances »
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
II est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
– Et d’autres, corrompus, riches et triomphants
Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal
En tant qu’humble lectrice que je suis, je dis qu’Elena Piacentini rend hommage au célèbre poète avec sa prose tout en rime, alexandrin.
Une écriture belle comme le jour, vaste comme la nuit… Elle n’a rien à lui envier, vraiment, elle met de la beauté dans la noirceur. De la lumière au bout du tunnel. De l’espoir quand tout semble perdu.
L’intrigue :
La perte de mémoire de Mathilde Sénéchal et ses cauchemars récurrents. Albert Lasaret son chef d’équipe à la DIPG de Lille lui a sommé de partir sur les traces de son passé.
De comprendre dans l’odeur de menthe ce qu’il s’est passé ce 24 juillet 1987.
Se moquant des temporalités Elena Piacentini t’immerge dans son roman sans repère de temps.
Tu lis et tu comprends qui est à ce moment narrateur. Tu devines l’époque.
L’après-guerre, les années 80, aujourd’hui.
Avant.
Après.
Mathilde, Orsalhier, Adèle, Hortense, Jeanne, Erich, Nils, Solange, Laure. Auguste, Walberg, Éden, Simon, Siwan, Jehan, Legal, Delage, Albert, tous ces protagonistes font partie de l’aquarelle de l’auteure.
Peu à peu, elle te dévoile ses couleurs.
Illusions, coïncidence ou malédictions ?
Quel pigment utiliser pour comprendre les fils tenus et tenaces du passé ?
Tous ces morts à la date du 24 juillet.
Des sorts ?
Des meurtres ?
Pourquoi cette date ? Qui ?
Une énigme. Deux même.
La mémoire de Mathilde et la disparition de celle qu’elle considérait comme sa grande sœur, sa prof de musique privée, Jeanne, sa Siwan.
Les étés qu’elle passait à Arcourt sur les bords de l’Eaulne, petit village près de Dieppe.
Jobenne, Daucel, Maugris des voisins plein de secrets.
De mensonges.
De non-dits.
De mal aimer, de trop aimer, de tromper à vouloir protéger.
« Des habitants qui ont avalé leur langue. Une forêt où rôde un étrangleur de bêtes. Trois maisons isolées en lisière de forêt et l’Eaulne pour frontière. Trois familles. Quelles guerres ou quels amours les ont traversées ? Quelles alliances ont-elles contractées ? »
Le décor est planté pour que la toile te révèle le paysage derrière les couleurs.
Elena Piacentini choisit de mettre son héroïne face à ses démons.
Elle choisit d’orienter son récit sur la psychogénéalogie, sur les scénarios transgénérationnels.
Ce sont les thèmes qui portent l’ossature du roman où les femmes sont les chairs.
Elle t’encourage comme elle encourage Mathilde à te libérer des chaînes du passé, celles qui t’entravent sans que tu le saches même à cause de tes ancêtres.
Drames enfouis.
Secrets de familles. Sujets tabous.
Tellement de maillons, parfois plusieurs qui se transmettent et qui t’étouffent.
Qui t’empêchent de vivre pleinement ta vie.
La vie c’est maintenant.
Le bonheur est à portée de tes mains.
Encore un très beau roman noir de cette auteure lilloise que j’aime tant.
Son écriture qui te donne le ton, la mesure.
Son écriture qui rythme les pages et te les fait tourner à toute allure pour comprendre.
Qui lit Elena Piacentini doit savoir être patient.
La vérité se dévoilera à qui saura attendre et quand arrive la révélation tout fait sens.
J’aime cette auteure pour ses personnages pas tout à fait droit.
Mathilde surtout, un peu, beaucoup, brisée, en passe d’être réparée.
Ses observations fines, au microscope de la nature humaine.
Un examen presque chirurgical des gens que nous sommes aujourd’hui qu’elle arrive à mettre en scène dans des romans qui te tiennent en haleine jusqu’à la dernière ligne.
De la tension.
Du suspens.
Des décors où tu te vois déambuler.
La France profonde.
Des petits villages repliés sur eux-mêmes où les étrangers comme les questions ne sont pas les bienvenus.
Ce ne sera pas un roman où les rebondissements arrivent à toute allure, mais ne pense pas que tu t’embêteras bien au contraire.
J’espère sincèrement retrouver Pierre qu’il puisse enfin photographier Titan, son ours, Mathilde et Adèle, cette gamine plus observatrice et futée que bien des adultes.
Delage et Legal, les collègues de Lille.
Retrouvera-t-on Mathilde dans l’Ariège ?
Une nouvelle énigme ?
Une nouvelle enquête ?
Un cold case ?
J’espère bien que cette enquêtrice acharnée avec ses failles, ses fêlures et son armure nous reviendra.
Tout ce que je peux rajouter c’est que je vous conseille de découvrir cette auteure.
Ce roman nous en apprend davantage sur Mathilde dont j’avais fait la connaissance en 2017, mais que tu peux lire celui-ci sans avoir lu « Comme de longs échos » même si je te le conseille fortement.
Totalement différent, mais aussi bon avec toujours cette plume délectable qui explore la noirceur humaine pour en faire ressortir ce qu’elle possède de plus beau, de plus important.
Une auteure à découvrir si tu aimes les enquêtes qui prennent le temps, si tu aimes les ambiances pesantes.
Lourdes de mystères et de sens avec un style élégant, percutant, très travaillé sans être ampoulé.
C’est sa marque de fabrique : faire du noir du blanc, au sens propre comme au figuré, toujours à mon humble avis de lectrice, une fois de plus comblée.
Lire Elena Piacentini c’est faire connaissance avec une prose élégante qui te plonge dans les méandres les plus sombres des cercles familiaux, c’est ne plus pouvoir se fier aux apparences, c’est se laisser happer par cette aura de mystère qui plane autour des pages, c’est entrer dans la danse avec un tempo toujours maintenu grâce à des chapitres courts.
Alors, toujours pas convaincu. e. s ? Mais qu’attends-tu ?
✩Vaste comme la nuit ⟷ Elena Piacentini ⟷ 312 pages ⟷ Fleuve édition, le 22 aout 2019 ✩
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