PRÉSENTATION DE L’ÉDITEUR :
Printemps 1932, dans le delta du Mississippi. Une chaleur suffocante écrase la campagne et menace les récoltes. Un assassin sans visage frappe la nuit, et une injustice sans nom règne le jour. Des croix brûlent sous la lune, les cavaliers fantômes du Ku Klux Klan font régner la terreur et le Mississippi prend les couleurs de l’enfer. Au milieu du désastre, deux amants : Betty et Steve. Ils sont jeunes, Noirs et pauvres, mais persuadés que leur amour les sauvera…
Vaste fresque historique et musicale, aux accents faulknériens, Delta Blues déploie une galerie de personnages : Noirs, Blancs, Indiens et métis, planteurs et bluesmen errants, prêcheurs, sorcières, politiciens véreux, bagnards, trafiquants d’alcool et Legba, le dieu vaudou, « Maître des carrefours » qui, tel un détective d’outre-monde, veille sur le destin de chacun.
Au fil des pages, un monde renaît : le Delta, la terre où naquit le blues, où des femmes et des hommes opprimés trouvèrent les voix qui firent écho à leur humanité.
Le soleil brûlant, un harmonica, la voix gouailleuse du peuple
La musique du diable, celle du péché : le blues. La cloche du temple retentit, Dieu essaie de ramener à lui son troupeau égaré.
Les hommes et les femmes s’échinent au travail.
Blanchisseries ou boulangerie. Ils ne seront pas rendus plus blancs pour autant.
Voilà un peu le climat du début du récit.
« Cet air, cet air entraînant, m’évoque toujours un homme noir, le visage brillant de sueur sous le soleil montant en dansant une longue et haute colline »
Ils ont commis le crime impardonnable de naître noir.
Julien Delmaire reconstitue à merveille le climat de l’époque.
La prohibition, les sans-abris et la pauvreté qui règne suite au crash de Wall Street.
Les séquelles des soldats rentrés après la guerre.
Les machines agricoles qui remplacent de plus en plus les ouvriers.
La ségrégation très stricte jusqu’au cimetière.
Le Klan prêt à tout pour que les « nègres » restent à leur place et n’essaient surtout pas de gravir les échelons de la société, même si les lynchages sont plutôt rares
Pour Steve, Betty et tous les noirs, traverser l’enclave blanche est presque aussi terrifiant qu’être sous les tirs de fusil.
Il ne faut pas paraître arrogant ni craintif.
Toute une tactique à connaître, et ce dès le plus jeune âge.
« L’espoir, c’est la salive du pauvre. »
Quelque chose de bien plus sombre et de pernicieux rôde entre ces pages.
Homme ou monstre ? Assassin ou cauchemar ?
C’est tout un camaïeu de souffrance physique ou morale que t’offre Julien Delmaire.
Sapphira, la guérisseuse, à sa place dans la communauté, une place précaire et exposée.
La moindre erreur de dosage de ses breuvages peut signer sa perte.
Elle est discrète, mais présente, redoutée et détestée à la fois.
Elle voit tout, observe tout.
Elle connaît les secrets et la sagesse des anciens.
Pour moi, c’est écrit dans la tradition du roman noir américain
C’est brut et sans concession.
Des naufragés de la grande dépression, les enfants déchus, loqueteux souvent sans parents, les fillettes qui voient leur ventre s’arrondit avant la fin de l’âge tendre, que cela soit voulu ou non.
La faim oblige et la misère accule.
Les mains noires agrippées à la pioche.
Mains qui déblaient et remblaient.
Pieds enchaînés, mains entravées, voix tiraillées, destins en cage.
Ici à la croisée des rimes, Julien Delmaire écrit la dernière strophe : ceux des habitants décédés, leurs frères d’épuisement qui creusent les tombes, la fin du poème.
Delta blues reflète les ténèbres et les rares éclaircies.
Les amulettes et les prières ne protègent plus le monde…
Tu entends les talons marquer la mesure, les sens sont mobilisés au service d’un groove hypnotique.
Quelque chose de profond, sincère et au pouvoir de suggestion important.
Les voix disent la vérité, la tristesse n’est pas feinte, elle est logée au cœur des voix ou des instruments.
Le delta est tissé de voix en embuscade, de syllabes embrasées et de cris.
Tout est en musique et tout résonne.
Ici le chant naît de la blessure et retourne aux oiseaux sans malentendu ni faux semblant.
« Un enfant fait grincer une pièce contre l’acier, l’écho de ferraille monte le long des cloisons, s’engouffre dans la gouttière et s’élève dans l’oxygène diminué. »
« Rire même si demain sera pire. Rire, oui rire, ramasser dans la poussière les tessons de nos voix, rire même si nos rêves s’enrayent et que le destin nous tire comme des lapins. Rire, rire, rire ! … »
Julien Delmaire parle de l’enfance anéantie, piétinée.
C’est cru, c’est imagé, mais les deux sont nécessaires pour appréhender tout ce qui se déroule au cours du récit.
« Le mal est le ferment de ce pays, son limon, sa substance. Il n’est ni blanc ni noir. Il est ici chez lui. Derrière les digues. Au fil du danger. Le Mal a frappé hier, aujourd’hui, il se repose un peu tel un monstre repu. Il suffira d’un cri pour qu’il s’éveille et morde. »
Lutte et fatalisme, désespoir. Rien de joyeux ne transpire des pages sauf l’amour de Betty et de Steve.
Roman choral, de nombreux personnages prennent la parole.
Des gens de tout genre, de tout âge et de toute confession.
Sapphira la sorcière, Legba, le dieu puissant, le shérif, Bobby le jeune bluesman, Betty, Dorothy, le pasteur, le tailleur, le maire. À chaque circonstance, l’auteur t’offre un air de blues.
L’écriture est belle, poétique, pleine de métaphores, d’allégories.
Elle est musicale, même si les mots sont parfois crus, par nécessité.
Le langage est par moments vulgaire.
C’est la parole du corps qui se libère
Quelques longueurs, mais sans grande conséquence, car les fins et débuts de chaque partie ont leur lot de révélation et de rebondissements donnant un nouveau souffle au tempo vibrant de ce roman.
En bref :
Delta Blues c’est l’histoire de reproches, d’incompréhension et de traditions séculaires ; de vengeance avortée ou réussie, c’est la mort qui rôde dans les rues.
C’est les deux guerres et leurs conséquences économiques et sociales, c’est Eleanor Roosevelt et l’exposition universelle de Chicago, c’est du gospel et une chorale, c’est le blues et quelques notes de jazz.
Près de 15 ans d’histoire américaine, de douleurs, de regrets.
C’est l’histoire de mères qui veulent le mieux pour leur enfant quitte à en perdre leur âme.
De pères qui apprennent des enseignements à leurs enfants sans un mot.
Ce sont des terres d’ombres et de silence qui cachent tellement de misère.
La forêt garde pour elle ce qu’elle sait des hommes.
Legba lui sait tout.
Il a tout vu.
Il a tout donné et tout repris.
C’est l’histoire d’un village du sud profond englué dans la mélasse du passé, bouffi de remords et de crimes impunis.
Inspiré par le réalisme magique, écrit dans une langue vibrante et poétique, Delta Blues est un chant universel, bouleversant.
Le récit se termine par entre autres ces mots :
« I can’t breathe, sister, I can’t breathe no more. Petite sœur, c’est par ta voix que je veux naître. Mais d’abord, je dois t’inoculer le blues. La maladie de vivre. Le blues c’est un homme qui s’effondre et ne se relève pas. »
Intense et forte, cette dernière page apporte une dimension supplémentaire au texte.
À la fin du roman, l’auteur te donne une liste des personnages par ordre d’apparition ; j’aurais aimé le voir avant, car elle m’aurait bien servi même si je ne me suis pas trop perdue.
Il y a aussi les crédits et les traductions des différentes chansons, ainsi qu’une discographie sélective.
Enfin, une bibliographie dans laquelle j’irai certainement puiser quelques titres.
Pour aller plus loin :
Delta Mississippi : tu peux lire ici son histoire et sa situation géographique
ou encore ici https://en.m.wikipedia.org/wiki/Diddley_bow
Julien Delmaire:
Julien Delmaire est romancier, poète et auteur pour le théâtre.
Depuis ses débuts en 2001, il est considéré comme l’une des figures charismatiques de la scène slam française et estimé comme un poète à part entière. La célèbre revue de poésie italienne « Fili d’Aquilone » lui a consacré un article le considérant comme l’un des espoirs de la jeune poésie francophone. Plusieurs de ses textes ont été traduits en anglais, en espagnol et en italien.
Auteur de quatre recueils de poèmes, il est régulièrement convié à des salons du livre pour des séances de dédicaces et invité à des résidences d’écriture notamment à la Maison Arthur Rimbaud de Charleville-Mézières. Il est aussi invité à des événements littéraires de prestige : au XXe festival international de poésie de Medellín en Colombie, à la Biennale de la poésie de Dakar, de Liège, au Festival Étonnants Voyageurs à Haïti et à Saint-Malo, à la Réunion, en Suisse.
Passionné de poésie, il est chroniqueur pour la revue Cultures Sud. Depuis 10 ans, Julien Delmaire multiplie les lectures sur scène en France et à l’étranger où son style rythmique et exigeant touche un large auditoire.
✩ Delta Blues ⟷ Julien Delmaire ⟷ 496 pages ⟷ Éditions Grasset, le 25 août 2021 ✩
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meslivresdepoche dit
pas mon style je pense mais c’est intéressant d’avoir ton retour 🙂