PRÉSENTATION DE L’ÉDITEUR :
Janvier 2011. Les journaux sont censurés, les informations se diffusent sur Internet et un murmure parcourt la Tunisie : la rue gronde. Mehdi, un jeune journaliste, tourne en rond dans sa cellule, sans savoir ce qu’il va devenir. La Cellule, elle, sait tout, elle a vu ce que les geôliers ont fait aux autres prisonniers.
Dehors, Essia s’inquiète de la disparition de Mehdi, son nouvel amour. Elle part à Sfax, sa ville d’origine, pour tenter de le retrouver. À Tunis, Yacine, le père d’Essia, se rappelle l’indépendance. D’ailleurs, il a mal sous le pied gauche, comme au départ des Francais en 1956. Mehdi est encore le seul à le comprendre : c’est une révolution.
Hella Feki décrit la révolution de jasmin de l’intérieur, avec une écriture puissante, évocatrice, sensuelle. Ses personnages racontent leurs espoirs, leurs blessures, leurs peurs, leurs défaites, leurs envies de tout changer. De tout casser. Pour mieux reconstruire.
Tu commences le récit 9 jours avant la fin du régime.
Je vais te présenter les différents narrateurs. En fin de livre, 2 autres narrateurs expriment leur ressenti, font entendre leurs voix.
Yacine, pharmacien dans le quartier de l’Ariana. Yacine qui a épousé une Française, bravé les interdits. À 65 ans, il a peur quand il entend le bruit des manifestants, lui, eux qui ont toujours dissimulé leurs pensées, leurs émotions. Il a peur des représailles, peur de la mort, de la torture aussi. Il a peur des regards et des paroles. Ces peurs l’ont réduit lui et le peuple tunisien, lui et les siens au silence. Quand on accepte d’oublier le monde extérieur, qu’on se contente de vivre dans sa tour dorée, on peut vivre tranquillement. Feindre de ne se mêler de rien. Mais aujourd’hui, comment faire alors que le silence n’est plus et que les protestations sont dans la rue ?
Il a des enfants en France et une fille restée en Tunisie : Essia
Il n’y a pas que des hommes et femmes dans ce livre, mais aussi une cellule. Oui, tu as bien lu sans que cela soit loufoque, la romancière lui permet de livrer ces états d’âme. Ce sont ces passages qui m’ont le plus ébranlée, émue.
La cellule, elle, elle les a tous vus passer.
Les uns après les autres.
Elle a entendu les cris et les pleurs.
Leurs pas et leurs peurs.
Elle, elle sait ce qu’il va leur arriver maintenant qu’ils sont entre ses murs. Ses cloisons sont imprégnées d’urine, de sang, de l’odeur de la peur.
La cellule témoin silencieux, pierres de mots et de maux.
Elle entend tout. Témoin muet qui saura toujours qui est passé entre ses murs. Qui est passé et ce qu’il s’est déroulé.
Les pleurs et les prières
les coups et les colères.
Il y a eu Sirine, enfermée, car elle a publié un poème avec une liberté de ton, il y a eu aussi Nourredine qui a refusé d’accuser à tort un voleur, pas le sien, un homme qu’il ne connaissait pas, il l’a dit au commissariat et il s’est retrouvé chez moi.
Aujourd’hui, il y a Medhi, mais la différence pour lui c’est que la foule qui gronde dehors le nourrit d’espoir. Ce mot, espoir, il n’a jamais existé en ces murs ou si peu, si vite anéanti. Détruit.
Medhi, lui, il veut raconter le cœur battant de son pays, ce qu’il a vu à Sidi Bouzid il y a vingt jours. L’homme qui a mis le feu aux poudres, l’homme qui a rallumé l’étincelle dans le cœur des jeunes Tunisiens.
Lui, dans sa cellule. 28 ans, il a des rêves plein la tête, un avenir à construire. Il est journaliste.
Enfermé, muselé. Il entend les bruits des cellules voisines.
Il repense à cet homme qui s’est immolé. Cet homme n’a pas supporté une humiliation de plus. Cet homme a amorcé quelque chose d’inédit en Tunisie.
Il y a 2 jours. 5000 personnes à son enterrement. Il a allumé un feu, mais la flamme continue de brûler, de se reprendre, les poings sont levés.
Si Mehdi pense à son avenir, il réfléchit surtout à l’avenir de son pays.
Il faut écrire, surgir. Briller, consteller. Il faut s’engager dans ce mouvement qui est en marche depuis un moment, mais qui a, jusqu’à présent, toujours réduit au silence, à l’inertie. Pieds, poings et paroles muselées. Sites internet surveillés. Personne en sécurité. Une société névrosée, censurée, étouffée qui a fini par exploser.
Il y a Essia, la jolie métisse que Mehdi a rencontrée 1 mois plus tôt dans une librairie
Un homme qui lui donne envie de se réinventer. De tout bousculer.
Ce qu’elle préfère c’est se réfugier dans ses livres préférés. Ceux qui l’apaisent l’aident face à l’obscurité et l’incertitude. La magie et le pouvoir des histoires de pouvoir se transporter en pensée dans l’univers et les émotions de quelqu’un.
Elle voit son pays changer, se transformer. Tunis change, tout se transforme, même le ciel, même les branches de jasmin qui étaient son royaume quand elle n’était qu’une enfant.
Essia et Medhi qui viennent de se rencontrer et dont tu lis les baisers enfiévrés, la fougue de l’amour qui fait tout oublier, qui comme une vague emporte tout sur son passage
Elle aime Medhi pour son engagement, sa flamme et son mystère.
Mama Maïssa mère, de Yacine, la relation qui unit Essia et sa grand-mère m’a fortement émue.
Mama Maïssa, cette femme qui a déjà tellement vécu, mariée a 13 ans.
On peut se réfugier contre sa poitrine et se laisser réconforter.
Écouter ses histoires.
Elle qui ne sait pas lire a toujours eu cette faculté de vous faire imaginer.
Un personnage marquant du roman. Vraiment.
Tunis, Monastir, Sfax, Sbeïtla, région délaissée où se tient tous les ans un printemps artistique.
Sbeïtla que Essia compare à la reine Didon, car comme dans la légende carthaginoise, la ville s’étend.
Tala, Kasserine, Regueb, Menzel, bouzaïane, Jendouba, Zaghouan, Kairouan, Gabès, Sfax, Sidi Bou Saïd, le mont Kornine.
Je te mets en story des images et des liens pour que tu t’immerges comme moi dans ce pays que je connaissais si mal et que grâce à son auteur j’ai pu découvrir ses multiples facettes. Son histoire, son passé, son présent, son futur en perspective, et aujourd’hui, en 2011 à l’heure où tu suis Essia, la cellule, Yacine, Medhi.
Jaune safran/rouge pimenté/vert poivron
Les plats typiques : doigt de fatma, bricks, mlokhia
Bourguiba, l’homme qui allait tout changer le 20 mars 1956.
L’homme qui a permis d’accéder à l’indépendance. Le président du pays, jusqu’en 1987, jusqu’à ce que Ben Ali fomente son coup d’État.
Le compte à rebours est lancé : 9 jours puis 6 ; 3 jours, jour J. Le moment où une allumette craque, embrase avec elle toute une époque enfouie. L’étincelle se met à éclairer les ténèbres de l’Histoire. Des bouts de cet horizon, cette lueur que tu vois au loin, vient d’éclairer les noces de jasmin du pays des protagonistes.
C’est un roman tout en violence et en finesse des sentiments.
Avec des mots noirs de sang, l’auteure met en couleur son roman avec l’amour qui tient en vie ceux dont tu vas lire ces 8 jours lors de la révolution de jasmin.
La plume est vive, acérée, cruelle, mais aussi sensuelle.
Sensuelle avec la grammaire et la musique des corps qui s’aiment.
Maternelle aussi.
Tendre et amère, incisive et douloureuse.
Toujours fluide.
Ce n’est pas uniquement la révolution de jasmin que nous conte Hella Feki, mais l’amour, les secrets de famille, le métissage, les difficultés d’être femme, le poids du passé qui peut faire souffrir un pied.
Elle te raconte des moments empreints de violence et d’autres, empreints de tendresse, de relation charnelle avec toujours cette plume délicate et enlevée.
Une plume qui change suivant le narrateur, mais une plume qui m’a charmée de bout en bout.
En très peu de pages, tu parcours cette révolution de 2011, tu apprends quantité d’informations sur ce pays.
Ses coutumes, son passé, le colonialisme, son indépendance, la révolution des pains, les diktats de la famille, les croyances, les saveurs culinaires.
La souffrance d’être femme.
Une femme arabe, femme de combattant, femme de résistant, mais femme.
Ces femmes ce sont Julie, Sirine, Essaia, Mama Maïssa surtout, elle les incarne elles toutes.
Tu entends poindre des pages, le doux chant du muezzin, tu observes la mixité de cette ville et ses sonorités différentes avec la Hara juive et son étoile de David sur les portes bleues des maisons, la Médina, le port de la goulette et ses rues grouillantes.
Les différents pans de civilisations qui se sont croisés, entrecroisés et mêlés.
Tout cela forme aujourd’hui Tunis.
Bougainvillées, mimosas, jasmin, profusion d’éclat, de floraison et de couleurs.
Le bleu criard du ciel et la blancheur de la chaux des murs.
Les odeurs et les couleurs jaillissaient des pages pour circuler dans l’air et j’espère que toi, qui me lis, tu liras à ton tour ce livre pour que ces mots et ces maux naviguent de lecteur en lecteur, car c’est un livre nécessaire.
Finalement que sais-tu vraiment de la Tunisie ?
« Écrire, c’est comme l’amour. C’est nu. »
✩ Noces de Jasmin ⟷ Hella Feki ⟷ 220 pages ⟷ Éditions JC Lattès, le 26 août 2020 ✩
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