Incipit :
« Pour toutes ces femmes massées derrière moi, qui ont humiliées, ridiculisées, soupçonnées, exclues et dans le pire des cas assassinées. C’est pour vous que chaque année, le jasmin blanc fleurit en mai. »
« Utopie : un monde où n’existeraient plus que des différences, de sorte que se distinguer n’équivaudrait plus à s’exclure. » Roland Barthes, 1975
« Entgen Luijten, dit-il d’un ton solennel, en tant qu’officier de justice, je vous informe qu’aujourd’hui, le 10 juillet 1674, par ordre du bailli et des échevins de Limbricht, vous êtes arrêtées pour suspicion de sorcellerie ou magie noire. »Une recherche sur Google pour le nom Entgen Luijten donne une première impression de la femme du XVIIe siècle qui est au cœur de De witch van Limbricht ; la dernière victime néerlandaise de la chasse aux sorcières. Entgen était l’une des quelque 30 000 à 60 000 personnes — dont environ 80 % étaient des femmes — qui ont été soumises à d’horribles tortures avec sens, et finalement à la mort. Les notes des accusations contre Entgen et du procès ont été conservées et sont la source de La Sorcière de Limbricht.
Avec son livre, Susan Smit va plus loin ; elle décrit la femme derrière les documents.
Le résultat de ces recherches et de la plume de l’auteure est une image poignante et intense, mais aussi très personnelle d’une femme qui a été qualifiée de sorcière.
Tu as l’impression de connaître Entgen, de la reconnaître.
Combien de fois en le lisant, je me suis dit : cela aurait pu être moi à sa place.
Ce livre va te faire remonter à ce qui a conduit à son arrestation.
Des faits, des choix qu’Entgen a pu faire par le passé.
Son tort : faire entendre sa voix.
Elle l’a fait toute sa vie
C’est surtout cela qui l’a menée à l’arrestation.
Par la voix de Entgen et l’écriture de l’auteure, tu verras différemment les changements de lumière au fil d’une journée, tu verras un brin d’herbe onduler sous le vent, un lièvre ou un chevreuil sauter dans la lande.
Tu sentiras l’air saturé de parfums de la nature.
Tu verras la clarté des petits ruisseaux ou les eaux stagnantes et vertes.
Entgen convoque ses souvenirs et éloigne l’obscurité de son cachot, tu le fais aussi.
Tu vois Limbricht comme si tu y avais vécu toute ta vie.
Femme passionnante à écouter, à lire.
Elle est capable de voir les signes avant-coureurs d’une pluie ou d’un dégel.
Quand elle marche sur la lande ou dans les bois, elle se sent en harmonie avec son environnement.
À sa place.
Une science, un savoir qu’il est dangereux de posséder à cette époque et encore plus en tant que femme.
C’est sa grand-mère qui l’a initié et son père qui lui a donné à observer la nature et ses infimes changements.
« Les gens ne regardent plus autour d’eux, ils oublient ce qu’apprennent la terre et le ciel, les arbres, les plantes et le comportement des animaux.
Tout ce que l’on veut savoir sur le temps se lit dans la nature. (…) »
Durant l’attente de son procès, durant son emprisonnement, son esprit se souvient de la jeune fille puis de la femme.
C’est ainsi que tu vas découvrir ce qui a pu l’amener à être accusée de sorcellerie.
La plume t’enfonce dans le tourbillon des souvenirs de l’héroïne.
Elle déplace ses pensées vers autrefois pour tenir bon, elle est enfermée dans cette geôle mais son esprit lui peut encore voyager.
Parcourir. Aimer. Sentir. Toucher. Observer. Réfléchir surtout.
Elle te donne à voir la nature avec ses yeux.
Le moindre brin d’herbe retient ton attention comme le moindre mot de ce récit de toute beauté.
Entgen t’ouvre les portes de son jardin secret.
Elle évoque des images pour chasser les idées angoissantes, de belles images auxquelles se raccrocher.
« Méfiez-vous des femmes au caractère autoritaire, nous prêchait-on à l’église, des femmes à la conduite lascive ou à l’apparence séduisante, des femmes capables d’opérer des prodiges inexplicables et des femmes qui ont le vent en poupe malgré tous les malheurs qui nous frappent »
« Ce que je sais c’est que l’Inquisition se soucie peu de ces femmes et du fait qu’elles soient ou non des sorcières, il s’agit de réduire au silence toutes celles qui sont moins dociles, moins dévotes, moins vertueuses que souhaitables. »
« Il faut plus de courage pour être heureux que pour être malheureux »
Une femme de 74 ans que j’ai accueillie directement dans mon cœur
Sa clairvoyance, son indépendance et son intelligence.
Le lien fort avec sa grand-mère comme moi avec la mienne m’a fait l’aimer davantage
J’ai eu envie tout au long de ma lecture de lui tenir la main.
Lui donner la sororité et le soutien totalement absent à cette époque.
J’étais terrifiée par ce que je voyais se profiler.
Un roman qui, en tant que femme, te pousse à l’introspection sur des sujets variés tels que vieillir, l’amour, le devoir, les barrières mentales, la grossesse, l’accouchement, la maternité, le désir, la sexualité, le deuil, les menstruations, etc.
La vieillesse du corps, mais pas celle de l’âme ni celle du cœur.
Des étapes de la vie d’une femme, chacune de nous s’y retrouvera.
La sorcière de Limbricht c’est trouver sa propre vérité et s’éloigner des convictions d’autrui.
Une grande attention est portée à la nature.
Toute la nature. La terre, le ciel, les animaux, les plantes et les fleurs.
Les messages à y lire ou pas.
La richesse et le bonheur de l’observation des cycles de vie tels que la nidification, la lande qui change de couleur au fil des jours, la lente progression des nuages, la lune et ses phases.
Une part de méditation et de communion avec ce qui nous entoure vu par les yeux de Entgen.
Un même homme, accusateur, juge et bourreau.
Tu ressens physiquement le poids de ses chaînes
Sa douleur, mais aussi son incroyable force.
Elle ne se résigne pas.
Ce roman a été un roman passionnant, une de mes plus belles lectures de janvier.
J’ai aimé cette femme, j’ai aimé les leçons de vie, les réflexions et l’introspection de ce roman.
À lire si tu as aimé :
Les graciées de Kiran Midwood Argrave, basé lui aussi sur une histoire vraie.
Pour en savoir davantage
https://fr.wikipedia.org/wiki/Entgen_Luyten
PRÉSENTATION DE L’ÉDITEUR :
« Aujourd’hui, le 10 juillet 1674, par ordre du bailli et des échevins de Limbricht, vous êtes arrêtée pour suspicion de sorcellerie ou magie noire. »
Enfermée sans plus d’explications, Entgen Luijten ne peut compter que sur elle-même : elle n’a plus de famille et sait que personne ne se lamente sur son sort. Parce qu’elle préfère se rendre au bois qu’à l’église, parce qu’elle connaît le pouvoir des plantes qui soignent, parce qu’elle est un peu trop libre, elle a toujours fait jaser dans son village reculé de la campagne néerlandaise.
Dans l’attente de son procès, la voilà réduite à compter les jours dans l’étroit et glacial cachot du baron Van Breyll qui est prêt à tout pour obtenir des aveux spectaculaires. Mais malgré les fenêtres étriquées de sa cellule, Entgen se souvient des premières lueurs de l’aube qui embrasent l’horizon et de la lande qu’elle parcourait en compagnie des siens. Et si elle respecte la puissance de la nature, elle ne se soumettra pas à l’autorité du châtelain et compte bien faire entendre sa voix. Même si cela doit être la dernière fois.
Inspiré de faits réels, La Sorcière de Limbricht offre une fascinante réécriture féministe de la chasse aux sorcières, portée par une plume puissante et sensorielle.
✩ La sorcière de Limbricht ⟷ Susan Smit ⟷ 320 pages ⟷ Éditions Charleston, le 11 janvier 2023✩
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