PRÉSENTATION DE L’ÉDITEUR :
» Un pays tout de vert, de terre, et d’affliction vêtu. »
C’est en avril 1994 que Sacha, reporter de guerre française, découvre le Rwanda – et cesse de croire en Dieu. Elle parcourt ses mille collines au volant d’une jeep de la Croix-Rouge, aux côtés de Daniel, médecin tutsi, à la recherche de sa femme et de leur fils, égarés dans la tourmente.
C’est l’histoire d’une femme perdue, d’un carnet retrouvé, d’une fleur gravée au couteau dans l’écorce des arbres et dans le cœur des hommes.
Il y a peu de jours ici, sur le blog je te parlais de Rose, l’héroïne du roman de Franck Bouysse, Né d’aucune femme que tu peux lire ici.
Aujourd’hui, jour de mardi-conseil, je te narre l’histoire d’une autre Rose, son histoire qui n’a pourtant rien avoir avec sa consœur de papier, m’a autant bouleversé. Si ce n’est plus, en tout cas différemment.
Des larmes ont coulé, mais je termine avec un sourire les yeux secs, mais encore très humides.
Le cœur plus léger, mais encore lourd.
Le sourire presque aux lèvres, mais pas tout à fait, car ce livre m’a profondément marqué. Je sais déjà que je n’arriverai pas à retranscrire tout ce que j’ai lu et ressenti.
Quel talent d’écriture Yoan Smadja !
Vos mots ont coulé sur moi, en moi.
Gravés dans mon âme comme les roses que Daniel laisse à tous les endroits où il passe, il les dessine, les sculpte en l’honneur de sa Rose, son sol.
Son épouse, sa moitié, son souffle. Sa vie. Son foyer. Joseph son fils est son ciel.
Entre ses pages, transpercent la douleur, mais aussi l’odeur sucrée de la vanille que la mère de Rose fait pousser dans leur jardin mitoyen de l’ambassade de France pour cuisiner à son mari, chef cuisinier au consulat, le seul dessert qui lui fait fermer les yeux de plaisir, un sourire que les deux femmes de sa vie attendent en silence pour le verdict : le riz au lait a-t-il comblé toutes ses espérances ?
Sacha a toujours vécu sur des coups de cœur suivant son instinct.
Journaliste de guerre pour le journal parisien « Le Temps ». Elle quitte l’Afrique du Sud ; elle y a été envoyée pour couvrir les élections après la fin de l’apartheid ; pour le Rwanda suite à une étrange cargaison aperçue dans des camions en route vers Kigali.
Elle a une intuition. Ses pressentiments, elle les suit toujours. Je ne pense pas que ce jour-là elle avait mesuré ce à quoi elle allait être confrontée. D’ailleurs, qui aurait pu imaginer?
Tu vas lire deux narratrices, Rose et Sacha, leurs souvenirs, leurs ressentis. Leurs visions, leurs ressentiments.
Leurs récits s’entrecroisent, deux regards portés sur cet événement traumatisant qu’a été le génocide rwandais.
S’il y a deux narratrices, elles ont chacune leur style.
C’est une des grandes forces du roman. Les deux narrations sont différentes et amènent un point de vue très distinct. L’émotion du roman vient de Rose tandis que la justesse vient de celui de Sacha.
Sacha, par son métier nous livre un récit très journalistique, elle relate les faits, même parfois froidement, elle a cette habitude de ne pas s’attacher, mais livrer ce qu’elle voit sans laisser transparaitre son émotion. Le Rwanda pourrait bien changer cela.
C’est passionnant, ancré dans le présent et basé sur des faits politiques réels.
» (…) à Paris et ailleurs, les gens se foutent de votre conflit. Ils s’intéressent vaguement à la fin de l’apartheid ; ils pensent beaucoup à la Coupe du monde de football, qui démarre dans quelques semaines. Personne ne sait où se trouve le Rwanda, et pour vois dire la vérité j’ignorais qui était Paul Kagame il y a encore 72 heures. »
Ainsi tu liras les accords d’Arusha, un accord signé par le président Habyarimana et le Front Patriotique Paul Kagame, un accord qui visait à établir les bases d’un état de droit, de partage de pouvoir entre Hutu et Tutsi.
Elle essaie aussi de se faire une idée plus précise du pays en lisant les papiers de d’autres collègues journalistes écrits avant 1994.
Elle te parle de la colonisation allemande puis belge, elle t’explique le peu de différence entre Hutu et Tutsi et ce qui a mené à cette haine envers les Tutsi.
L’arrivée au pouvoir de Juvenal Habyarimana, les premiers quotas de Tutsi qui pouvaient avoir accès aux études (1973), les premières offensives du FPR, etc.
» Hutu et Tutsi partageaient les mêmes caractéristiques de langue, de civilisation, de coutumes et de religion. La différence, pour peu qu’il fût justifié d’en examiner les racines, était davantage clanique, voire sociologique. »
» La création d’une carte d’identité mentionnant l’ethnie, déduite d’après la quantité de têtes de bétail possédées et l’apparence physique, acheva de figer la classification »
Quand tu lis Rose, c’est sous forme de lettres, un style épistolaire, poétique et romanesque.
Sa plume est magnifique, c’est d’abord elle qui m’a le plus ému.
Ses mots sur leurs maux.
Ses peurs et ses craintes et pourtant toujours cet espoir qui demeure.
Un récit vraiment poignant.
Rose est d’abord romantique, mais aussi mélancolique, elle évoque ses souvenirs, ceux de son père, de sa mère, de Daniel, de leur fils, Le Rwanda paisible, là où elle se sentait chez elle, en sécurité.
Les lettres de Rose vont solliciter tous tes sens, le récit est immersif, visuel et sensitif.
Tu vois les collines verdoyantes, tu sens les odeurs de vanille, de cuisine, tu entends les bruits du marché, les rires des adultes et des enfants avant qu’ils se transforment en cris de terreur, avant que la fureur prenne la place.
Tu lis la vie.
Sa vie
» Le Rwanda avait son armée, sa révolution, la jeunesse vaillante, les escadrons du combat. Ils étaient la fierté des vieillards trop âgés pour tendre la machette, l’avenir des enfants trop jeunes pour comprendre que l’heure était venue. Ils étaient l’œuvre d’Habyarimana et le fruit de longues années d’endoctrinement. On leur avait appris à haïr et à tuer. Pourquoi ces imbéciles en feraient-ils autrement ? »
Plus on avance dans le roman, plus le récit des deux femmes se fait sombre.
Elles sont témoins des événements terribles d’avril 1994 à partir d’un attentat qui va provoquer un séisme d’une amplitude inattendue.
Jamais vue.
On est surtout à Kigali, l’épicentre de la tempête, là où les hommes ont ordonné l’anéantissement de d’autres hommes.
Au règne de la loi a succédé le règne de la colère, des impulsions sauvages.
Des bêtes enragées même plus des hommes.
Des hommes, femmes et enfants traquées partout, dans les moindres recoins.
Ils doivent être anéantis, écrasés, piétinés.
« J’ai cru qu’ils m’étouffaient. J’ai cru qu’ils effaçaient ce que nous avions vécu. J’ai cru qu’ils étaient des dizaines ou des milliers.
J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi.
J’ai cru que je ne serais plus que poussière. »
Tu sens arriver le moment bascule, avant que le sol ne se dérobe sous tes pieds.
Cette tension que tu sens monter, un seul mot qui pourrait mettre le feu aux poudres.
Tu lis l’impuissance de La Croix-Rouge, des forces françaises, belges et étrangères présentes sur place.
Les écrits de Rose si lyrique, plein d’espoir se perdent peu à peu, elle bascule dans le désespoir, puis ces lettres s’assombrissent et glissent vers l’horreur.
L’inimaginable.
Pourtant toujours avec cette candeur, cette chaleur et son amour immense pour son fils et Daniel elle continue à écrire.
Joseph et Daniel, les deux hommes de sa vie.
Car si c’est un roman sur le génocide rwandais et les événements qui y ont mené c’est avant tout le récit de l’amour celui avec un grand A.
» Mon fils, je te souhaite de vivre furieusement, je nous souhaite de te serrer dans nos bras de longues années. Je nous souhaite de te voir nous rejoindre chaque matin dans notre lit pour nous réveiller. Je ne sais pas dans quel Rwanda tu as vu le jour. Peut-être parviendrais-je à relever dans un pays en paix. Peut-être le ciel se chargera-t-il des nuages de la colère. Nous ferons tout pour te rendre heureux. Et vois, mes amis présents, promettez-moi de toujours vous souvenir de ce dîner. Nous sommes ici autour de cette table, Tutsi, Hutu, ou simplement Rwandais, heureux de partager un repas merveilleux (…) faisons en sorte qu’il grandisse dans un pays qui aura effacé les différences.
», Car la tragédie d’un génocide réside aussi dans son dénouement. À un moment ou un autre, il doit s’arrêter. Et que se passe-t-il après ? Les peintres ont pu peindre à nouveau, en noir et gris. Les sculpteurs ont pu sculpter à nouveau, la glaise tombante, le métal froid, le minéral. Les chanteurs ont pu fredonner à nouveau, des mélodies affligées. Les compositeurs ont pu aligner leurs milliers de notes, graves, lancinantes, oubliées. Ceux qui savent écrire n’ont pas d’issue, car il n’y a pas de mots. » (…) Nos mots de journalistes n’ont plus de sens, mais il faut poursuivre, écrire, raconter, témoigner de ce à quoi nous assistons. »
Rose écrit à Daniel pour ne pas mourir d’elle même après ce qu’elle a enduré.
Elle aurait préféré y rester.
Rose muette, raconte, se raconte. Elle te livre sa vie avant, pendant ces jours horribles d’avril et après…
Rose voudrait pouvoir crier face aux monstruosités dont elle est témoin.
Écrire lui permet de survivre dans l’espoir que Daniel les retrouve, elle et Joseph.
Toute la laideur du monde au milieu de ce vert de la nature indolente et du soleil clément planant au-dessus de Kigali
Ces torrents de pluie qui nettoient le sang
Ces gouttes d’eau qui tombent des yeux en silence
Ces observateurs extérieurs qui ne peuvent intervenir
Comment ont-ils pu regarder toute cette férocité, cette abomination ?
Ce déferlement de haine impossible à endiguer comme un fleuve sorti de son lit.
Quand un printemps de 1994 s’abat comme la foudre, mais qu’il reste la magie du monde, la grâce du temps
Des roses et du riz au lait.
À un moment du roman, les écrits de Rose et Sacha finiront par s’entremêler, leurs destins sont liés.
Sacha par la suite m’a elle aussi fortement émue. La femme journaliste laisse tomber crayon et papier pour aider.
Son armure se fissure.
» Sacha se demanda comment la désolation avait pu s’abattre sur une contrée si belle qu’elle aurait dû rester vierge de toute violence. »
« Nous aurions dû comprendre ce qui se passait au Rwanda bien avant le printemps de cette année-là. Peut-être avions-nous tenté de ne pas voir, de nous rassurer. Peut-être avions-nous baissé la garde. Alors que les Rwandais et la communauté internationale auraient dû ne pas céder un pouce de terrain, ils avaient détourné les yeux, des années durant, face à l’hydre. Jusqu’au naufrage. »
Les chapitres alternants les lettres de Rose à Daniel et le récit de Sacha, t’amènes, toi mon cher lecteur, à être confronté à la terreur de Rose, mais aussi à être plongé dans le chaos sans fin que la journaliste et ses compagnons de route découvrent au fil de leur périple.
Ce livre c’est le destin de Daniel, Rose, Sacha et Joseph
Une histoire de femmes, l’une française, l’autre Rwandaise, des destins entremêlés comme les chapitres du roman.
Un roman de maman, mais aussi celui de la honte.
Le récit de l’impossibilité à oublier.
La rédemption quand, arrivera peut-être le pardon, sans prononcer un seul son comme la voix muette de Rose.
Un roman de cœur qui vibre au sein d’un pays ou un mot sur un acte de naissance change des cours d’une vie.
Ce livre est magnifique, très dur je ne vais pas le nier, mais Yoan Smadja prouve que malgré la barbarie dont l’homme est capable, il peut en ressortir une lumière qui fait reculer les ténèbres.
Un roman comme un diamant brut taillé sous la plume de Yoan Smadja pour en faire un des plus beaux bijoux qu’il m’a été donné de lire. L’auteur arrive à écrire sur un épisode sombre de ces dernières décennies en infusant de la beauté, de la luminosité, la puissance de l’amour et toute sa beauté, toutes ses nuances.
Je voudrais t’en dire davantage, te décrire personnages et paysages, mais je ne te dirai que ceci : lis ce roman absolument. Il est de ces livres qu’il faut avoir lus dans sa vie pour que plus jamais cela ne recommence. Pour peut-être comprendre.
Un roman au pouvoir immense.
Touchée et émue je suis, pourtant j’écris ces dernières lignes plusieurs jours après avoir terminé le livre.
Pour moi ce livre à une résonance particulière, 10 Casques bleus belges ont trouvé la mort en accomplissant leur mission, La Belgique a un lourd passif avec le Rwanda. Je te présenterai d’ailleurs bientôt d’autres romans sur ce pays, avant sa colonisation, après et aujourd’hui.
✩ J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi ⟷ Yoan Smadja ⟷ 272 pages ⟷ Édition Pocket, le 6 février 2020 ✩
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Nanette dit
Ce roman me fait de l’œil depuis un petit bout de temps maintenant. Je ne savais pas qu’il venait de paraître en format poche, merci de m’en avoir informée ma souris chérie ! Je n’ai plus d’excuses pour ne pas me le procurer désormais 😉