PRÉSENTATION DE L’ÉDITEUR :
Madrid, été 1957.Passionné de photographie, Daniel Matheson, 18 ans, découvre l’Espagne à travers l’objectif de son appareil. Il loge au quartier général de la haute société américaine : l’hôtel Castellana, où travaille la mystérieuse Ana Torres Moreno. À mesure qu’ils se rapprochent, Ana lui révèle un pays où la dictature fait régner la peur et l’oppression, hanté par de terribles secrets…
« C’est au feu qu’on éprouve l’or, et c’est au malheur qu’on éprouve les hommes braves » Seneque
Mon cher lecteur, en voyant cette prochaine parution juste le nom de l’auteure m’avait convaincu.
Je n’avais même pas lu plus que cela le résumé.
Je lis chacun de ses romans.
La couverture m’a fait me plonger dedans dès sa réception.
Sa lecture m’a ébloui.
J’ai eu un très gros coup de cœur.
Il sort le 5 mars. D’habitude, je ne te présente pas les sorties en avance, mais le sujet, la puissance des mots fait que je te le présente aujourd’hui.
C’est un roman poignant et bouleversant, l’auteure nous emmène cette fois en Espagne durant le régime franquiste.
Ruta Sepetys, que j’ai découverte il y a des années avec « ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre », est une auteure que j’adore.
Elle écrit des fictions historiques qui peuvent être aussi bien lues par des jeunes que des adultes
Ses textes sont emprunts de sagesse et de réalisme sans que jamais elle n’écrive trop de descriptions dramatiques
Dans ses lignes, on entend tout, on comprend tout.
Elle a une plume magnifique et didactique sans que tu aies l’impression de lire un cours d’histoire.
Non, elle la vulgarise la rendant accessible à tous tout en gardant cette maturité qui fait que les adultes prennent autant de plaisir à lire ses romans
Je te les recommande tous.
Vraiment.
Revenons à ce nouveau livre.
On va suivre 3 narrateurs.
Daniel le Texan en vacance à l’hôtel Castellana, Ana, femme de chambre et Puri, cousine d’Ana qui travaille dans un orphelinat.
Nous sommes en 1957.
« Nous ne sommes vraiment morts que si vous nous avez oubliés » épitaphe anonyme, fosse commune de la guerre d’Espagne.
C’est par cette citation et un bref rappel de l’époque où se situe le roman que Ruta Sepetys commence son roman.
Les personnages de cette fiction historique font sa force, le contexte aussi, mais vraiment ce sont les protagonistes qui le portent.
Daniel qui a choisi de faire de la photo plutôt que d’utiliser les mots.
Une image peut exprimer tellement plus.
Même si ses parents sont opposés à ce qu’il devienne photojournaliste lui il possède la liberté de décider.
Anna, elle, voudrait parler, raconter, expliquer leur situation, mais ça lui est interdit.
Dans l’Espagne où elle vit, parler est dangereux. Ont-ils même encore le droit de penser ?
Elle se tait, à contrecœur, mais dans une dictature la liberté de parole n’existe pas.
Tous deux portent des secrets, des secrets qu’ils veulent préserver, mais encore une fois pour Daniel sa vie n’est pas en jeu.
Même si le poids est lourd il ne risquera rien s’ils venaient à s’ébruiter, Ana vit constamment dans la crainte, la peur fait partie de son quotidien.
« Madrid a les couleurs de la beauté, mais aussi celles de la souffrance. Les fantômes de la guerre hantent les rues. »
Ana, sa sœur aînée Julia, son beau frère Manuel et son frère Raphaël travaillent tous cumulant parfois deux boulots pour espérer juste espérer vivre dans un appartement qui contient plus d’une pièce.
Ils n’ont droit qu’à cela.
Une pièce, quasiment tous leurs salaires passent dans la location des tombes de leur mère.
Leur père a été exécuté, leur maman torturée, car ils voulaient ouvrir une école Montessori, tués, car ils étaient républicains. Ils ont été réduits à néant, car ils voulaient fonder une école qui ne dépende pas de l’Église catholique.
Seule religion admise en Espagne.
Ils se sont sacrifiés pour défendre l’éducation
La liberté religieuse est abolie.
Les protestants et juifs ne peuvent célébrer leurs offices
Une dictature militaire où même les familles endeuillées ne peuvent venir se recueillir sur les tombes de leurs proches s’ils étaient déclarés sympathisants
Les familles qui s’endettent, car elles doivent payer un loyer exorbitant pour avoir le droit « d’occupation » pour les tombes de leur famille
C’est pour cette raison que, Julia, Ana et Rafael, Manuel se « tuent » au travail, ils ne veulent pas que leur mère finisse dans une fosse commune comme leur père
Les catalans et les basques, eux ne peuvent plus parler leur langue.
Tu suis un peuple qui obéit, car épuisé.
Tu ressens les tensions entre ceux qui veulent désespérément oublier les disparus, les malheurs qu’ils ont vus ou qu’ils ont vécus, et ceux qui veulent se souvenir
Tu sens ce climat de peur, de suspicion, de faim, de désespoir, mais aussi d’espoir grâce à deux autres protagonistes : Rafa et Fuga.
Rafa et Fuga, son meilleur ami avec qui il a passé ses sombres jeunes années à l’orphelinat ou plutôt maison de redressement, les horreurs qu’ils ont vécues m’ont serré le cœur.
Fuga rêve de devenir torero. Rafa fera tout ce qu’il peut pour l’aider.
S’il rêve de devenir torero, ce n’est pas pour la gloire, mais pour aider des enfants comme lui, comme eux, comme leurs voisins.
Rafa, si joyeux extérieurement, mais qui essaie encore de recoller les morceaux de lui que les corbeaux lui ont pris.
Les corbeaux se sont la guardia. Quand ils apparaissent au coin d’une rue, toi-même, tu les crains.
Guardia civile des corbeaux qui picorent la population, habillés de noir de la tête aux pieds.
Des hommes en cuir verni avec des âmes en cuir verni.
Outre Ana et Daniel, les personnages principaux ; tu suis aussi Puri.
La cousine de Rafa et Ana.
Une jeune fille qui travaille dans un orphelinat dirigé par des sœurs.
Elle met Franco sur un piédestal fait tout pour être une bonne femme selon ses préceptes, discours tant répété par sa mère comme celui de se taire, mais elle ne peut s’empêcher de se poser des questions sur ce qu’elle voit et entend.
Purification ou Puri qui ne connaît ni le chagrin de la perte de ses parents ni la honte de vivre dans un des quartiers les plus pauvres est un personnage très marquant du livre.
Son histoire m’a fortement ébranlée et marquée tout comme Fuga.
Les passages qui leur sont dédiés dans le roman sont moindres par rapport à Daniel et Ana, mais ce sont des protagonistes puissants.
Leur résilience est incroyable tout comme leur silence ou leurs secrets.
Ces mots qu’ils ne prononcent pas ont fait bien plus de bruits à mes oreilles.
Ils expriment tellement ce qu’a été l’Espagne durant ces 20 années et plus que Ruta Sepetys nous narre.
« Estamos más guapas con la boca cerrada » « nous somme plus belles la bouche fermée »
La vie est-elle plus belle avec la bouche fermée ? Par Puri, Daniel, Ana, et les autres personnages tu vas pouvoir y réfléchir.
Il y a des choses dont on ne peut pas parler, nos protagonistes les enferment autant qu’ils ne peuvent dans un tiroir sombre où sont exilées les vérités inexprimables.
Ana, sous ses airs angéliques, voit tout.
Elle observe et analyse le monde qui l’entoure.
Ces riches Américains aux vêtements coûteux sont-ils vraiment heureux ? Que cachent les apparences ?
Ils ne connaissent qu’une seule de ses facettes celle de la femme de chambre qui obéit à leurs ordres, celle qui fait en sorte que leur séjour a l’hôtel se déroule bien.
« Bénissez-moi Padre, car je suis remplie de colère. Beaucoup me voient, mais peu me comprennent. Mon cœur qui ne demande qu’à aimer est rempli de haine envers notre dirigeant. J’enrage que les pièces que je gagne soient frappées à son image avec la devise “Caudillo par la grâce de Dieu”. J’enrage que mon avenir soit déterminé par le passé. J’enrage qu’on me fasse sentir une moins que rien, incapable de suivre ses ambitions. Je ne rêve que de quitter l’Espagne, d’être aimée, mais les mains qui se tendent vers moi ne l’ont jamais fait avec tendresse. Je ne suis intime qu’avec le silence et les larmes. Padre, où est la grâce de Dieu pour les enfants de la guerre, les enfants si injustement traités ? »
« Des mensonges et des menaces à avaler, littéralement avaler, Ana pour ne laisser aucune trace des menaces d’un maître chanteur mange les papiers qu’il lui a laissés. Qui est-il ? Que cache Ana ? Tu devras lire le roman pour le savoir. Ruta Sepetys te tient en haleine jusqu’au bout.
Daniel est un jeune homme volontaire, passionné par Capa, qui veut accomplir son rêve préfère photographier les hommes et femmes, les enfants qu’ils croisent plutôt que les paysages.
Ce qui l’intéresse ce sont les gens.
Des paysages qui vivent et respirent.
Quand on prend une photo au bon moment la vérité éclate.
Une bonne image raconterait plein de choses sur l’autorité et le pouvoir en Espagne
Il est animé par la volonté de révéler les injustices dans le monde.
Chez lui à Dallas où même si la ségrégation est officiellement terminée il assiste encore à des scènes de racisme
Ruta Sepetys rend aussi un vibrant hommage à ces habitants de Vallecas.
Là où vivent Ana et sa famille. Ils n’ont plus rien, ils vivent dans la misère, mais ils ne baissent pas pour autant la tête.
Un roman qui va faire réagir tous tes sens surtout la vue grâce aux photos de Daniel et aux descriptions qui t’immerge totalement dans ces lieux et cette époque, mais aussi olfactif, celui du toucher lors d’une danse ou un coup, celui du goût avec par exemple ces fleurs de violettes enrobées de sucre
tous mes sens étaient en éveil.
En lisant, j’avais tout un tas de chanson espagnole qui me passait en tête
Ma peur et ma conscience du danger étaient constantes comme si j’étais Ana.
Un livre sur deux jeunes gens issus de milieux différents désireux de coopérer, de s’aimer et de chercher les vérités, mais ils sont séparés par un fossé énorme : la culture et les circonstances
Ruta Sepetys dans ses précédents livres racontait l’histoire de l’intérieur puisqu’ils contenaient des éléments de l’histoire de sa famille au cours de l’Histoire
Cette fois, elle a écrit un roman de l’extérieur.
Tombée amoureuse du pays et des habitants elle a voulu en savoir plus sur son histoire.
“L’Histoire révèle que, pendant les guerres, les premières victimes sont souvent les plus jeunes. Des enfants et adolescents deviennent les victimes innocentes d’une terrible violence et de pressions idéologiques.”
C’est pour cela qu’elle choisit des jeunes gens pour son roman.
Celui de jeunes innocents qui au lieu de poursuivre leurs rêves, leurs espoirs, sont devenus des puits de silence.
D’après certaines études, il pourrait y avoir plus de 300 mille enfants volés à leurs parents biologiques puis donnés ou vendus à des familles “moins dégénérées” ces vols et adoptions ont commencé en 1939 et ont duré jusque dans les années 80
pendant et après la guerre civile ces bébés ont été iris à ceux qui s’opposaient à Franco afin de punir les parents ou grands-parents
Le dictateur considérait que c’était un moyen de réhabiliter des enfants dont un membre de la famille portait un gène “rouge” autrement dit nationaliste des médecins et l’église ont soutenu ce programme.
Tu seras révoltée par tout ce que le peuple espagnol a vécu : vol de nouveau-nés aux mères à qui on a fait croire qu’ils étaient décédés.
Tu entendras plusieurs fois parler de ce monument : El Valle de los Caídos.
Un bâtiment qui a couté des millions de dollars alors que le peuple crie famine
Construit grâce aux prisonniers politiques, les touristes se promènent sur les cendres de milliers de personnes assassinés froidement.
Chagrin, peur, larmes, faim, colère, rage, impuissance, des gens trop las pour se battre. Trop fatigué pour se révolter.
Rafa et Ana qui rêvent de justice, de vérité, de dignité. Deux jeunes pour qui c’est si difficile de se taire, d’avoir peur à chaque instant et de tout le monde.
Tu liras aussi des hommes et des femmes qui sont obligés de cacher leurs souffrances d’avoir perdu des êtres chers sinon ils sont considéré comme sympathisants.
Ruta Sepetys entre les chapitres te donne des discours, des articles de presse qui explique la relation entre les États-Unis et l’Espagne. Pourquoi les USA ont accepté de redorer le blason de Franco en échange de l’implantation de base militaires
Ce n’est pas du goût de tout le peuple américain.
L’auteure te montre ce clivage existant et réel.
C’est mieux expliqué que cela, mais je ne veux pas tout te dévoiler.
Je savais certains faits, j’ai été ébranlée, révoltée par d’autres.
Ben Stahl, journaliste à l’antenne du Herald tribune à Madrid ; Miguel le photographe et Nick sont 3 autres personnages du roman qui interviennent à des moments clés.
Tous les 3 vont aider Daniel à voir, voir réellement plus uniquement avec ses yeux, mais aussi avec son cœur.
Découvrir le côté sombre derrière la beauté.
Carlitos le groom, un enfant, au petit rôle m’a tellement émue lui aussi.
Tu entendras parler du peintre Sorolla, le préféré d’Ana, de la Muletta, de Corrida, tu percevras peut-être le son des Castagnette avec la Voix de Lora Flores
“la peur est un esprit malfaisant, pourtant il y a quelque chose que Franco et les corbeaux ne pourront jamais lui ôter : la liberté de la combattre”
“Mais toi… Tu peux réaliser un vrai reportage, ici. Un reportage en photos, qui montre une Espagne différente des cartes postales. (…) Et le peuple espagnol ? C’est comment, la vie sous une dictature ? Qu’est-ce que ça fait quand les manuels scolaires sont dictés par le gouvernement ? Quels sont les espoirs et les rêves des jeunes, quand il n’y a pas d’élections libres et que la religion est imposée ?”
“Concentre ton objectif sur le peuple espagnol, sans faire l’idiot. Il y a une part d’ombre, ici. Bien sûr, on vend aux touristes du soleil et des castagnettes, mais Franco à d’autres cordes à son arc. Au moindre faux pas, la police te tombera dessus et on retrouvera ton cadavre au fond d’un fossé.”
« Chaque nation a ses cicatrices et son histoire cachée. Les anciens conflits présentés dans des histoires lues et discutées nous donnent l’occasion d’être unis dans l’étude et le souvenir. En ce sens, les livres nous relient les uns aux autres en une communauté de lecteurs internationale, mais aussi en une communauté d’êtres humains qui s’efforcent de tirer les leçons du passé.”
✩ Hôtel Castellana ⟷ Ruta Sepetys ⟷ 592 pages ⟷ Édition Gallimard jeunesse, le 5 mars 2020 ✩
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Folch dit
Merci de nous faire partager ton sens de la lecture et de repositionner les personnages du roman. Étant un lecteur « assez lent », cela m’aide à me replonger dans la lecture de cette belle histoire qui met à jour et au jour des bribes de souvenirs historiques et des émotions que ma famille a distillés durant toute mon enfance et adolescence.C’est la première fois que je plonge dans les ténèbres du Franquisme après guerre et que je pose mon attention sur la vie de l’intérieur (MADRID) des Espagnols. Autres regards que ceux posés sur la Retirada et ses souffrances.
Encore merci pour ta présentation éclairée et concise sans spolier le roman.
Souris dit
Merci beaucoup à toi pour ce message