PRÉSENTATION DE L’ÉDITEUR :
Qui prête attention à Joe ? Ses doigts agiles courent sur le clavier des pianos publics dans les gares. Il joue divinement Beethoven. Les voyageurs passent. Lui reste.
Il attend quelqu’un, qui descendra d’un train, un jour peut-être.
C’est une longue histoire. Elle a commencé il y a cinquante ans dans un orphelinat lugubre.
On y croise des diables et des saints.
Et une rose.
» Vous jouez comme ces pianistes qui enchantent le monde dans de grandes salles pourpres. Mais vous, vous n’enchantez que du goudron mouillé et des feutres trempés. Vous avez raison, madame. Bien observé, monsieur. Mes scènes sentent le rail et le kérosène. Mes Carneggie Hall et mes Scala s’appellent Montparnasse, Roissy-Charles-de-Gaulles, Union Station, John F. Kennedy Airport. Il y a une bonne raison à cela. C’est une longue histoire, je ne voudrais pas vous ennuyer. »
Jospeh c’est l’arpège furieux ; les accords ; les prestos agitato. Tu enfonces des touches qui frappent un marteau, lequel frappe une corde qui émet une note. Une note qui s’intègre dans une mélodie, une harmonie ou les deux ; et toi Joe, quand tu joues, ce n’est plus rien de tout ça c’est de la magie. Ta musique arrête le temps et même, le vent. Elle porte et emporte avec elle les soucis des passants.
Notre narrateur ne se sent plus jeune depuis longtemps, pour preuve il ne se souvient pas de l’heure à laquelle il est né.
Gardez vos honneurs, gardez vos médailles tous ces ornements qui piquent le cœur et l’engourdissent
Tout commence le 2 mai 1969. Il n’a rien fait pour l’avoir. Ceux qui l’attrapent vous diront la même chose, c’est un mal incurable, mais qui ne figure dans aucune encyclopédie médicale.
s’ensuivent des années de pluies noires qui glacent les os,
Le vieux Rothenberg, ton professeur de piano, très exigeant. Du rythme Joe, joue ta musique Joe, écoute, comprends, ressens !
Mais comment comprendre, à 15 ans, que dans Beethoven il y a des aigles, des ballades au clair de lune qui sont, en réalité une marche funèbre, comment entendre les nuits de Vienne, la douceur du Rhin, les nuits de Heiligenstadt, bleu feu d’artifice, noir désespoir, le silence qui gagne peu à peu Ludwig ?
Joseph à cause de sa maladie partira pour un lieu dont vous n’aurez jamais entendu parler, puisqu’il n’est pas sur terre. Il partit pour un lieu dont vous n’entendez jamais parler. Il est fermé depuis longtemps. Les coins c’est son nom.
Il est fermé, mais chez certains il saigne encore
Une autre date importante. 21 juillet 1969. 2H56.
Joe mérite sa part de gloire. Il le jure. Il est allé sur la Lune et même plus loin encore, et il en est revenu. Tout le monde l’ignore, tout le monde s’en fiche.
Qui cela intéresse l’humanité des petits pas ?
Après les confins, il n’y a plus rien. Un endroit aujourd’hui presque beau, calme. Un silence d’oraisons et de couloirs qui ne mènent jamais au même endroit, des parois de granit et ce silence pesant. Assourdissant.
Des hommes où tout se joue dans le regard. Candeur délavée chez Monsieur Rothenberg, gris de lame chez l’abbé.
Sa maladie incurable c’est que sa famille ; son père, sa mère et Inès sa sœur ont rendu leurs atomes, ils se sont éparpillés dans l’immensité, ils tourbillonnent dans la colère d’un jour sombre puis aveuglant. Incandescents.
Les saints toi, Sinatra, Fouine, Momo, Edison, Souzix, vous vous regardez tous pour ne pas tomber. Vous jouez à des jeux de tristesse. Vous regardez le monde vraiment le regarder. Vous avez tous le même statut ou presque. Votre groupe, société secrète. La vigie.
La vigie, ses nuits noires seulement éclairées par la voix de Marie-Ange. Cette voix qui vous parle à la radio, une radio fabriquée par Edison ; une voix qui vous sauve des ténèbres où vous vivez.
Non Joe ; permets-moi de t’appeler Joe et non Joseph. Vous n’étiez pas bêtes, oui vous étiez beaux. Beaux de toute cette innocence que vous possédez encore chacun, cette innocence que les diables ne sont pas parvenus à briser. Pas tout à fait, même s’ils étaient déterminés.
Vous êtes des fantômes que les villageois ne voient pas.
Souzix, comme je t’ai aimé ! Comme j’aurais voulu te serrer dans mes bras. Toi et ta tête renversée. Toi, toujours en train de fixer le ciel, un ciel plein d’étoiles qui te coulent sur les joues. Tes airs de vieux sages quand tu te balades dans la cour. 6 ans et tu comprends déjà tellement. Trop surement. Assurément.
Joe, je te promets que je l’ai senti, dans la chair molle d’un soir d’été, dans la matière du monde, qu’il fut là. J’ai vu le petit creux en forme de lui. Promis.
Momo. Momo et toi c’est à la vie à la mort. Tu es sa voix. Il est tes larmes.
Vous êtes comme le selenicerueus, une fleur rare et belle qui fleurit dans le noir
Il y a aussi des corbeaux, mais tout le monde le sait, les corbeaux ne crèvent pas les yeux aux corbeaux.
De la violence qui te rentre dans les veines, celle de générations d’orphelins égratignés, meurtris, griffés, familiers du sang et du gravier.
Il y a les diables, il y a les saints, il y a les simples hommes et il y a les Héros. Oui, avec une majuscule, ce n’est pas une erreur.
Ces Héros, tu feras leur connaissance en lisant ce roman vibrant de notes de piano, de mots jamais prononcés, de larmes jamais versées, des enfants qui prennent un bain de vent. Appuyé sur le vent ils s’élèvent et toi, loin d’eux, loin des confins, là-bas sur ce bout de terre entre la France et l’Espagne, tu les entends. Ils résonnent en toi, tu les entends ces mots/maux qu’eux seuls peuvent te déclamer. Leur poésie tragique, mais puissante et belle. Leurs plus sombres peurs et ces éclats de lumière. Les âmes noires, du plus noir que tu n’as jamais croisé, je l’espère, des éclats de poussière de lune.
Des astres incandescents. Tu seras avec eux dans ce firmament que William Collins a vu de près.
Ce livre est une fulgurance, une évidence.
Je savais sans même l’avoir commencé et je dois remercier ma fille, Lucie, qui l’a choisi au hasard.
Les livres sont, pour moi, toujours une question de moment. De destin entre eux et moi.
(Évidemment, malheureusement, heureusement, ce n’est pas toujours le cas.)
Hier 27 janvier, quand je l’ai commencé j’ai su de suite qu’il allait m’emporter telle une sonate que j’entends encore alors que je t’écris ces mots, le cœur en bandoulière, les larmes chevillées au corps.
Jean-Baptiste Andrea distille les couleurs de la nuit. J’ai eu envie de rires, de rire aux larmes une expression qui va si bien à ce roman.
Il raconte comment la lumière a mille façons de s’éteindre.
Sans passé sans avenir, sans avant et sans après, un orphelin est une mélodie à une note. Et une mélodie à une note n’existe pas. Jean-Baptiste Andrea crée pour eux tout un enchaînement de notes, ils sont là, grâce à lui on les voit, enfin.
Dans ce livre il y a la photo d’une absence, un drapeau fait d’étoiles, Mary Poppins, Chet Barker et Elvis, l’Espagne de Caudillo, une Rose qui sent la lune, l’Oubli, Marc Bohan et Michael Collins, Beethoven et Les Rolling Stones, Thelonious Monk. Du jazz et un rythme d’aiguille et de molleton. Un taureau blanc, un palais inca sous la pluie.
✩ Des diables et des saints ⟷ Jean-Baptiste Andrea ⟷ 361 pages ⟷ Éditions L’iconoclaste, le 21 janvier 2021 ✩
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