Combien de murs possède une vie ? Réels ou imagés. Les murs, les frontières, ceux qui nous sont donnés, ceux qui nous imposent, ceux que nous nous créons ? Katia est fille d’émigrés espagnols, née en RDA. Son père est militant du PCE (= personne civile étrangère) dans une Allemagne divisée.
Sa mère est une femme aimante, mais qui souffre pour les êtres qu’ils ont dû laisser au pays, une mère qui aspire le meilleur pour son entourage, sa famille. Ils survivent tant bien que mal en tant qu’immigrés dans cette Allemagne divisée. Ils tentent de donner à Katia et à sa sœur Martina une vie normale, mais un jour pour Katia c’en est trop.
Elle veut franchir l’autre côté du mur. Par amour.
Tout laisser et partir au prix de sa vie.
J’ai vraiment eu du mal à comprendre le choix de Katia, partir sans se retourner, sans s’inquiéter du destin de sa famille. Partir sans aucune lettre, aucune explication.
Un jour, elle était là dans leur petit appartement le lendemain elle n’était plus. Elle n’a pas pensé aux conséquences. Elle a agi sur un coup de tête, mais peut-on la condamner pour autant ? Des conséquences elle va en subir le poids.
Plus n’aucun objet ne la relie à la RDA, en RFA elle est acceptée, mais pas totalement adoptée. Bien sûr, il y a Johannes, mais combien de temps un amour peut résister aux murs que l’on érige autour de notre cœur pour ne plus souffrir ? Katia elle, elle enfouit son père, sa mère, sa sœur et son amie Julia, tout ce qu’elle a été avant son départ.
Le protagoniste qui m’a le plus touché c’est Isabel, la mère, elle vit dans la souffrance éternelle des actes commis par les autres. Alors que Katia est loin d’elle, sa silhouette est toujours présente à la table familiale, sa place reste libre comme si elle n’était jamais partie, comme si à tout moment elle allait rentrer chez elle.
Pour moi, c’est le personnage du roman le plus consistant. Au loin, une femme qui attend le retour de sa fille et qui souffre avec Martina, son autre fille de toutes les répercussions de la fuite de Katia. Sacrifiée à vie, elle a fui son pays pour rencontrer son mari, fuit l’Espagne fasciste de Franco, elle a rejoint son mari à Berlin, au prix de sa famille, de son cœur brisé.
Vivre dans un environnement étranger, avec une langue inconnue, où la pénurie des produits les plus élémentaires, la peur de commettre une irrégularité vis-à-vis du parti, la pauvreté est leur lot de tous les jours. Ils vivent dans l’hostilité et rien n’a l’air de vouloir s’apaiser.
Quand nous voyons, lisons ou écoutons des histoires sur l’Europe de l’Est, nous restons toujours avec le « mauvais », avec ce que cela devait être horrible d’y vivre, avec ce qu’ils ne possédaient pas. Aroa Moreno Duran nous explique que partir pour certaines personnes était la moins mauvaise option qui s’offrait à eux. La meilleure voire l’unique.
À la fin du roman, l’auteure écrit ces lignes qui sont pour moi les plus fortes du livre : vingt-sept ans après la chute du mur de Berlin, il existe encore dans le monde plus de quinze murs afin d’empêcher de manière violente les flux migratoires.
En bref : Ce roman est un court récit sur ce que veut dire le mot liberté. Comment la conçoit-on, comment on vit-on et, quand on la possède, combien parfois nous emprisonne-t-elle. C’est l’Allemagne vue à travers les yeux de Katia de 1956 à 1992. Ce n’est pas un roman historique, on est davantage dans l’émotion, le ressenti des personnages. J’aurais aimé en apprendre davantage sur quelques faits que l’on survole. J’ai aimé suivre Katia, lire ce qu’elle allait devenir même si elle m’a manqué de consistance. Difficile, en 200 pages, de tout expliquer, mais il m’a manqué d’un peu de descriptions pour bien appréhender les différents aspects du roman.
J’ai aimé, ce fut une lecture plaisante, mais pas inoubliable. Par contre, j’aime la plume de l’auteure que je découvre. J’ai aimé sa façon de narrer la vie de son héroïne. Son style épuré tout en délicatesse.
Roman d’un double déracinement, le premier des parents espagnols puis celui de Katia qui en passant la frontière… de l’autre côté ne se sentira jamais à sa place. La vie qu’elle a volée. 30 ans que le mur est tombé, combien en construira-t-on encore ? Reste cette autre question, fil conducteur du roman : l’herbe est-elle vraiment plus verte ailleurs ?
Premier roman d’une écrivaine et journaliste espagnole il raconte ces communistes espagnols envoyés par Moscou dans les pays satellites durant la guerre froide.
✩ De l’autre côté, la vie⟷ Aroa Moreno Duran ⟷ 220 pages ⟷ Édition JC Lattès, le 21 août 2019 ✩
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