Quel bonheur de retrouver Sophie Loubière après 3 ans, mais elle me met devant une grosse difficulté… celle de te parler de ce roman sans émettre le moindre spoiler ! Je vais faire de mon mieux tout en te livrant mon ressenti direct après ma lecture.
Le récit se déroule de 1979 à 2011, il nous raconte l’histoire de Laurence.
Laurence fait le récit.
Laurence écrit le récit.
Laurence est le récit.
Sophie Loubière va te distribuer ses cartes : 7 de piques, reine de trèfle, roi de carreau, 10 de pique, as de trèfle, valet de cœur, 4 de cœur, as de pique
Leur donnant à chacune une signification et à toi, lecteur, à chaque nouvelle carte tirée, un pan de la vie de son héroïne.
Un personnage qui va sans nul doute te marquer dès le départ jusqu’à la dernière ligne du roman.
« Un arbre n’a pas d’ami ni de cerveau, il n’a nul besoin de l’un ou de l’autre, aucune nécessité de mouvements, il lui suffit de bien se tenir face au vent, d’adapter son rythme de croissance au fil des saisons et de se nourrir des racines. L’idéal du néant éternel. »
Reine de cœur, la reine du livre c’est comme je te le dis Laurence.
La petite bête qui monte, qui monte qui monte et qui descend cette comptine que tous les enfants connaissent va te mettre très mal à l’aise. Quelque chose de sombre est tapi entre ses pages, mais quoi ?
Laurence et Thierry son frère, son bourreau, tu vas les suivre de leur enfance à leur vie adulte.
Tu vas lire cette relation déviante, cette relation de bourreau et victime.
Une victime consentante, Laurence aime profondément Thierry, elle est prête à tout pour lui. Laurence est venue au monde dans une famille dysfonctionnelle.
À la loterie de la vie petite lolotte on ne t’a pas donné le meilleur jeu de cartes qui soit.
Les dés étaient pipés dès le départ.
Tu fais preuve de résilience ne cherchant même pas à punir ceux qui t’ont blessé.
Les rois de ton cœur
Jeu de tarot, tirage de carte pour te prédire l’avenir, ou black jack les cartes sont les mêmes, peu importe le jeu.
Tour à tour, tu vas expérimenter de la plus mauvaise carte jusqu’à recevoir la plus forte du jeu, l’as, peut-être un jour.
Faire tapisserie, tu sais faire, mais peut-être que tu pourras un jour faire tapis et enfin, prendre ta revanche sur la vie ?
Des conversations où tu ne trouves pas tes marques, l’impression que les cartes sont brouillées.
Laquelle dois-tu tirer ? Personne pour t’aider à choisir.
Tu vas t’enfouir sous la nourriture, en avaler toujours plus pour essayer sans doute de faire disparaitre ce corps que les rois de ta vie aimés et détestés.
» Muraille de graisse », car c’est cela que tu fais, tu t’enfermes autour de toute cette nourriture ingurgitée, même plus savourée. On le comprend, on voudrait tant t’aider, mais on est là impuissant à lire espérant que l’inéluctable ne va pas arriver.
Qu’un jour quelqu’un va s’apercevoir de qui est vraiment Laurence.
» De cette attente qui laisse en moi l’impression d’un vide triste et froid que je ne suis plus en capacité de combler d’un hamburger-frites au risque de vomir. J’attends que le pinson s’envole. Et je voudrais le voir audacieux, s’accrocher à la branche d’un arbre, m’inviter d’un battement d’ailes à quitter cette maison où la menace gronde et où meurent les oiseaux pour toujours. »
On le comprend, que tu te punis, mais de quoi ?
Qu’as-tu fait sinon exister ?
On te lit souffrir d’exister ; on te lit aimer si fort ce frère qui pourtant ne te donne que souffrance, brimades, ce frère qui a toujours un jeu à inventer pour te faire mal.
Pourtant, à chaque fois tu lui pardonnes.
» À trop se remplir pour éviter de souffrir »
Plus tard en grandissant, petite lolotte tu deviens Laurence, tel un serpent, tu mues en devenant Cybèle. Tu délaisses ton ancienne peau, ton ancien » moi »
Cybèle, elle ne souffre pas, Cybèle est belle, Cybèle est dans les standards.
Tu vas te réinventer à ce moment.
Un moment charnière de ta vie que je vais laisser le lecteur découvrir.
La souffrance ne s’arrête pas hélas, tu continues à souffrir et on se demande bien pourquoi le sort s’acharne-t-il sur toi de cette façon
Le cerveau de ta maman est comme une roulette russe un jour c’est noir un jour c’est rouge tu ne sais jamais sur quelle bille tu vas tomber.
Plus loin dans le roman interviennent d’autres personnages notamment le Docteur Bashert officiant dans une station thermale qui déteste les gens.
Je ne te dirai rien de plus sur les personnages qui façonnent ce roman.
Oui, ils le façonnent, car la grande force, la très grande puissance de ce roman noir, c’est la psychologie dense des personnages. Certains te mettront très mal à l’aise, d’autres tu ne t’en méfieras pas, d’autre encore te rendront malade d’impuissance, enfin tu ressentiras aussi énormément d’empathie et d’interrogations.
Car oui Sophie Loubière brouille totalement les pistes.
Elle construit son roman autour de son héroïne Laurence, en parlant de Laurence ou Lolotte elle tire un constat alarmant sur le fonctionnement actuel de notre société.
Les dérives, les symptômes visibles ou invisibles, les déviances.
Ainsi on va parler de boulimie ça je pense que tu l’avais compris, la différence pas encore acceptée, les familles dysfonctionnelles, le divorce, le harcèlement scolaire ; les brimades, les moqueries et la jalousie fraternelle, bien d’autres points, phénomènes de notre société seront abordé au cours de cette double narration.
La seconde force du roman pour moi justement c’est la narration.
La chronologie du récit et la narration ne sont pas « habituelles », on lit des petits chapitres écrits en italiques où on lit le passé de Laurence à partir de sa plus tendre enfance.
Ce procédé va te permettre d’appréhender complètement la personnalité de Laurence.
Tout ce qui a fait qu’elle est devenue celle qu’elle est adulte.
Tu en as besoin de ces précisions pour vraiment comprendre ce qui se déroulera par la suite.
Sophie Loubière page après page te raconte, te narre ses personnages grâce toujours à Laurence.
Il n’y aura pas de rebondissement spectaculaire, ni de rythme haletant, mais crois-moi cela n’est pas nécessaire.
Tu ne veux qu’une chose en lisant Laurence, comprendre ce qu’il se passe, quel est cette monstruosité que tu sens tapie.
Le noir, le sombre, tu le ressens autant que tu ressens l’empathie pour Laurence.
Tu ne saurais pas faire autrement.
Un être de papier que tu as envie de protéger de toute la misère du monde.
Une introspection dans une âme brisée, à la limite tu te demandes si tu as le droit de lire les détails des malheurs de lolotte/Laurence. Tu te sens intrusif en lisant ses pensées les plus intimes.
Là, on arrive à la troisième très grande force du roman pour moi, l’auteur mélange les cartes.
Aussi attentif que tu sois à ce que tu lis, tu ne peux deviner ce qui est tapi dans l’ombre et c’est tant mieux, car j’ai été très secouée.
Étonné, ébahie aussi.
On suit donc deux voix comme je te le dis plus haut, Laurence en italique, ses pensées, des SMS, des échanges, des discussions tout cela est écrit à la troisième personne ensuite on a le récit à la 1re personne, pour Laurence toujours et un personnage qui va prendre plus d’ampleur au fil des pages que tu vas tourner : le docteur Bashert.
Tu es dans leurs têtes. Dans leurs cerveaux, dans ce qu’ils ont de plus intime.
Ce qu’ils taisent aux autres, toi tu le lis.
Comme pour Laurence, tu vas essayer de comprendre ce second protagoniste.
Qui est-il ? Que voudrait-il ?
Un personnage aussi complexe, mais pas autant que notre héroïne.
Je ne vais pas te révéler grand-chose sur ce personnage il faut que tu découvres ce livre en en sachant le moins possible pour que tu sois aussi surpris que moi je l’ai été.
J’aurais pu le deviner, oui, mais le roman n’aurait pas eu un tel écho en moi.
« Autour de moi tombent d’invisibles fragments d’étoiles »
Pour ce qui est de l’écriture de Sophie Loubière, elle nous écrit un roman noir avec des phrases de toute beauté.
Elle brode ce livre comme la plus belle des dentelles de Bruxelles.
Tu ne verras apparaitre tout le dessin/dessein qu’une fois le livre terminé.
Quand tu l’auras laissé reposer, tu t’apercevras de l’immense toile de ce roman.
Sophie Loubière n’a rien laisse au hasard, depuis le début de la première page elle mélange son jeu, donne une carte, la reprend, t’en tend une autre.
Sans connaitre l’auteure, je m’avance peut-être de trop, je dirais que ce roman est sans doute celui qui lui est le plus personnel, on sent les tripes de l’auteure, on sent l’exécutoire sur le papier.
Attention je peux vraiment me tromper, c’est uniquement mon ressenti.
Je n’ai pas cherché à savoir, je n’en ai pas envie même maintenant.
Je veux juste garder précieusement l’image de ce roman.
Un roman qui met en garde sur ce qu’il se passe à l’intérieur d’une maison d’apparence la plus normale, qui peut dire une fois la porte fermée ce qu’il se passe vraiment ?
Un roman qui m’a fait réfléchir, me poser et m’a fait souffrir aussi.
Je n’ai pas vécu la vie de Laurence, mais je ne peux pas dire que je n’ai pas tiré un as en venant au monde.
Un roman qui nous donne une sacré de leçon de vie.
En l’associant aux cartes, Sophie Loubière sans le dire précisément sous-entend que la vie est une suite de hasard, on peut tirer la pire des cartes pour ensuite en tirer une leçon et rebondir et inversement.
Tout le monde ne tire pas le même jeu en venant au monde et même plus tard dans notre vie d’adulte.
J’ai souffert, mais j’ai aussi aimé cette réflexion. Je peux même dire qu’elle m’a aidé.
Ce roman est, toujours pour mon humble avis, celui de tous ses lives qui est le plus maîtrisé.
Une écriture affutée, vive, précise, toujours fluide, subtile, poétique et lyrique par moment. Des sens cachés, des doubles sens, des images en partie révélées.
Je ne lui connaissais pas ce talent de « poète » non pas que c’est écrit en vers, mais la beauté de ces mots sur les maux de ses personnages dans un roman noir est rare !!
« Tout s’enchaînait depuis sa naissance comme une mauvaise partie de cartes. Chaque jour se jouait une bataille telle que son frère aimait à en mener contre sa sœur lorsqu’ils étaient gamins : il réunissait dans son jeu les as, les jokers, les figures et lui distribuait le reste. À moins que Laurence ne se décide à rebattre les cartes. »
En bref :
J’ai été remuée, émue, curieuse, triste, épatée, surprise et j’ai fini au tapis.
Je tais une très grande part du roman volontairement.
Un récit écrit tout en subtilité au rythme des cartes qui s’abattent. Pour chacune des cartes, partie du livre, il y a un message.
Cinq cartes, une main, celle de l’auteure, un seul jeu, le livre.
Qui va gagner
Qui va perdre.
Lolotte, Thierry, Laurence, Cybèle, Bernard, le docteur Bashert ou toi ?
Avec un style magnifique, incisif, Sophie Loubière effleure les sujets plus graves.
Elle va nous raconter la descente aux enfers de Laurence.
Comment sa vie va emprunter un chemin très particulier jusqu’au drame.
Elle va traiter ses sujets avec un style magnifique, incisif, elle frôle avec beaucoup de subtilités, de maitrise, de sensibilité des sujets souvent malheureusement tabous.
Si je t’ai parlé plus haut dans mon avis des thèmes principaux, il y a aussi une réflexion très intéressante sur les couples, les ambitions démesurées, plusieurs addictions, des questionnements sur le corps et l’image.
Sur ce que l’on voit dans la glace et sur ce que l’on est véritablement.
C’est un excellent roman noir.
Un rythme lent.
Posé.
Maîtrisé.
Sophie prend le temps pour que tu fasses connaissance avec ses personnages.
Tu vas connaitre tous les détails de qui a fait d’eux ce qu’ils sont aujourd’hui.
La fin du roman m’a surprise, j’ai senti quelque chose depuis le début sans jamais pouvoir deviner à quel point le jeu était truqué. Sophie Loubière a détourné mon attention en me braquant sur l’empathie ou l’antipathie que je pouvais ressentir pour ses personnages.
Une fois de plus, l’auteure m’a pris au dépourvu, j’ai adoré ce roman noir.
Un sublime roman que je te conseille fortement.
L’écriture est magnifique, les personnages torturés, mais ce sont des protagonistes que tu peux croiser tous les jours dans ta vie, un roman ancré dans notre société, elle t’en révèle beaucoup de ces stigmates de notre société malade.
» Les cinq cartes brûlées sont des âmes sœurs que tu retrouves quelques jours plus tôt »
✩ Cinq cartes brûlées ⟷ Sophie Loubière ⟷ 352 pages ⟷ Fleuve édition, le 16 janvier 2020 ✩
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https://evasionpolaretplus.wordpress.com dit
Perso, je ne la lirai plus, et tu sais pourquoi 😘